Contenu
Discours de M. Jérôme Filippini, préfet du Lot, à l’occasion de la cérémonie du 75e anniversaire de la "Tragédie Gabaudet-Donadieu", le 2 juin 2019
[Salutations]
Le 6 juin 1944 – il y aura 75 ans dans quatre jours - au large des côtes normandes, une armada apparaissait dans les brumes de l’aube du Jour J.
Elle allait débarquer de nombreux soldats venus d’outre Manche, d’outre Atlantique et de bien d’autres pays.
Beaucoup laisseront leur vie sur ces plages.
La bataille de Normandie débutait, elle allait devenir la bataille de France et libérer l’Europe presque un an plus tard.
Partout dans notre pays, avant ce 6 juin, de nombreux groupes de résistants avaient reçu des messages codés de Radio Londres leur indiquant l’imminence du débarquement et les cibles qu’ils devaient anéantir pour essayer d’en garantir le succès.
La « Bataille Suprême » était alors engagée. On ne parlait plus du peuple de la nuit. La lutte armée se faisait désormais au grand jour et l’objectif principal du maquis lotois était bien de retarder, par des sabotages et des embuscades, la progression des convois de troupes allemandes vers la Normandie.
Deux jours plus tard, le 8 juin 1944 en fin d’après midi, dans ces lieux, la ferme de Gabaudet allait être le théâtre de la barbarie nazie où résistance et population civile payèrent un lourd tribut.
La ferme de Gabaudet avait été choisie pour réunir des résistants de la région en raison de son isolement et de sa situation proche de certains réseaux de résistance.
Dans cette ferme, dès le 7 juin, plusieurs centaines d’hommes se rassemblèrent, venant s’ajouter aux nombreux maquisards qui s’y étaient installés depuis plusieurs jours.
Au matin du 8 juin, la division « Das Reich » quittait Montauban pour rallier la Normandie avec pour mission de détruire toute opposition sur son passage.
En fin d’après-midi, la ferme fût survolée par un avion de reconnaissance. Un détachement de la colonne allemande stationnée à Saint-Céré se dirigea alors vers Gabaudet.
Les SS encerclèrent la ferme avec des moyens très supérieurs à ceux des assiégés, qui se firent massacrer sauvagement.
35 résistants et 4 civils furent tués, dont la jeune Denise, 17 ans, retrouvée au milieu du champ de la Font, le corps criblé de balles. 71 personnes, dont 2 femmes, furent capturées. Beaucoup, parmi elles, furent déportées et ne revinrent pas. Les bâtiments furent détruits. Le hameau de Donadieu fût également incendié par les nazis.
Ce massacre de masse, du type de ceux que la division « Das Reich » avait déjà perpétrés sur le front de l’est, notamment contre des populations civiles de Biélorussie, ne s’arrêtera pas là puisque dans sa remontée vers la Normandie, elle commettra de multiples exactions dont les massacres de Bretenoux, Tulle, Oradour-sur-Glane, Argenton-sur-Creuse, Combeauvert…
Si nous sommes ici aujourd’hui à Gabaudet, c’est pour rendre hommage à celles et ceux qui ont été assassinés dans ce lieu, à celles et ceux qui ont été emprisonnés et déportés.
Si nous sommes ici aujourd’hui à Gabaudet, c’est pour se souvenir de ces femmes et de ces hommes, jeunes et moins jeunes, qui ont osé se lever contre la barbarie nazie, qui ont contribué à la renaissance de la République, de ses institutions et à la mise en place des fondements définis par le Conseil National de la Résistance, qui nous inspirent toujours aujourd’hui. Leur sacrifice ne sera jamais effacé de nos mémoires.
Si nous sommes ici aujourd’hui à Gabaudet, c’est pour montrer que chaque citoyen et en particulier le monde combattant – héritier des valeurs de ces martyrs de Gabaudet – peut élever la jeunesse vers le vivre-ensemble, vers la vie de la Cité.
Si nous sommes ici aujourd’hui à Gabaudet, c’est pour faire le serment que nous resterons vigilants pour défendre nos valeurs, pour porter le message universel et humaniste de Liberté, d’Égalité et de Fraternité qui fonde notre République.
Aujourd’hui, la végétation a recouvert ce site martyr. Les arbres ont poussé, les ronces, la mousse et les lichens ont recouvert ces murs de pierres sèches où résonnaient il y a encore 75 ans les rires et la vie quotidienne de la ferme, la parole courageuse des résistants, le chant murmuré des partisans.
Ce lieu m’évoque la phrase du poète Francis Ponge : « Les patrouilles de la végétation s’arrêtèrent jadis sur la stupéfaction des rocs. »
Ici la nature, après l’homme, a été stupéfiée.
La nature a repris ses droits.
Mais, loin de faire oublier la folie des hommes, elle enveloppe plutôt d’un linceul de verdure ce qu’il y a de plus obscur dans cette folie. Elle enchâsse sans effacer cette histoire jalonnée de barbarie. Une barbarie qui n’appartient pas à des temps anciens, mais à notre mémoire récente.
Cette mémoire, nous devons la garder.
Cette histoire, nous devons la faire connaître.
C’est un devoir moral, c’est désormais une loi supérieure de la République, pour la jeune Denise Joutet et pour toutes celles et tous ceux dont le sang s’est mêlé à la terre le 8 juin 1944, afin que cette terre redevienne et demeure une terre d’espérance et de liberté.
Je vous remercie.
Documents associés :